Une tradition chrétienne non trinitaire

 

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, christianisme ne rime pas avec Trinité. La principale Eglise chrétienne, l'Eglise catholique, a, depuis sa fondation au quatrième siècle,  imposé le christianisme trinitaire comme la norme. Il faut pourtant rappeler que Jésus-Christ, le fondateur du christianisme était juif et ne croyait pas à la Trinité. Issac Newton, le célèbre mathématicien et philosophe du dix-septième siècle, non plus.

 

Le christianisme des antitrinitaires peut s’analyser sociologiquement comme un  protestantisme évangélique. La religion jéhovéenne, pour employer un néologisme, est en effet authentiquement protestante et issue, particulièrement en ce qui concerne les Témoins de Jéhovah et les mouvements apparentés, du bouillonnement du Réveil évangélique du XIXe siècle.

 

Elle puise ses racines dans la tradition chrétienne antitrinitaire antérieure au quatrième siècle affirmant, dans la continuité judéo-chrétienne du premier siècle, un Dieu unique, clairement identifié et nommé, puis dans la Réforme au XVe-XVIe siècles avec Huldrych Zwingli et les anabaptistes, la constitution du mouvement baptiste au XVIIe, dans le « Réveil », l’anglicano-protestantisme, les presbytériens et les congrégationalistes, et dans le bouillonnement du « Grand réveil américain » au XVIIIe, enfin dans la cristallisation d’un corpus théologique chrétien antitrinitaire original élaboré par le pasteur Charles Russell et son groupe d’étude biblique de Pennsylvanie, groupe fondant progressivement une identité propre aboutissant à la formation d’un mouvement chrétien libre Les Étudiants de la Bible, revendiquant une identité unitarienne plus forte en prenant le nom de Témoins de Jéhovah en 1931.

 

On peut ranger les Témoins de Jéhovah dans «  les autres Églises chrétiennes nées de la Réforme et de l’Anglicanisme et s’étant développées dans le terreau des États-Unis d’Amérique suite aux persécutions religieuses en Europe. On peut citer, dans le courant protestant trinitaire (majoritaire) l’Église Adventiste du Septième jour, les Églises évangéliques Baptistes ; dans le courant protestant antitrinitaire (très minoritaire) les Témoins de Jéhovah.»[1]

 

On retrouve donc dans ce courant religieux les quatre grands principes historiques du protestantisme formant le socle de la réforme : Conversion, Biblicisme, Crucicentrisme, Activisme.

 

Isaac Newton : le plus célèbre des chrétiens antitrinitaires

L'œuvre majeure d'Isaac Newton (1642-1727) est le Philosophiae naturalis principia mathematica paru en 1687, qui représente le sommet de la pensée newtonienne. Les Principia marquent les débuts de la mathématisation de la physique.  Ils comportent tous les fondements principaux de la mécanique classique : égalité de l'action et de la réaction, principe d'inertie, et surtout loi de gravitation universelle. Professeur au Trinity college d'Oxford, il occupe également des fonctions administratives prestigieuses : il est nommé directeur de la Monnaie, et en 1703, il est élu Président de la Royal Society. Anobli en 1705, il décède le 19 mars 1727 à Londres, et il est inhumé à l'abbaye de Westminster, aux côtés des rois d'Angleterre.[2]

 

Mais on ignore souvent qu'il fut aussi un très grand théologien.[3] Et un grand étudiant des textes de la Bible, étude à laquelle il s'adonna de la même manière qu'il étudiait les sciences.[4] Il arrive à la conclusion que Dieu est un et que la Trinité est une invention tardive. Ses premières méditations théologiques datent du début des années 1670 au moins. Voltaire écrit de Newton dans ses Lettres anglaises : "Il y a ici une petite secte  composée d’ecclésiastiques et de quelques séculiers très savants (...) qui ne sont point du tout de l'avis de saint Athanase sur la chapitre de la Trinité, et qui vous disent nettement que le Père est plus grand que le Fils (..). Le grand monsieur Newton faisait à cette opinion l'honneur de la favoriser."[5]

 

Bien avant 1675, et parce qu'il s'était absorbé dans l'étude approfondie des écrits bibliques, Isaac Newton était devenu antitrinitaire. Il voyait dans le Christ le médiateur entre Dieu et les Hommes, subordonné au Père qui l'avait créé, le logos créé incarné dans un corps humain, de sorte qu'il pouvait souffrir dans sa chair. En raison de son obéissance à son Père, Dieu l'éleva et l'invita à s'assoir à sa place dans les cieux après sa mort et sa résurrection.[6]

 

François Baillon, traducteur de Newton, explique que pour Isaac Newton, toute religion subit un processus de corruption qui commence peu après sa fondation. Pour le grand savant anglais, le christianisme reste relativement pur, c'est-à-dire tel que Jésus-Christ l'avait enseigné, au moins pendant les trois premiers siècles. Les temps apostoliques se distinguent comme la seule période véritablement préservée. Cette période est la plus pure, c'est la religion judéo-chrétienne primitive. Il explique que les principales caractéristiques de la religion vraie sont l'unité, l’unicité, la simplicité. Le monothéisme rigoureux de la religion primitive s'oppose au polythéisme idolâtre. Newton préfère la densité de l'Un à la dispersion du Multiple, et sa méthode la plus générale est la réduction. La déconstruction du dogme trinitaire est au cœur de l'histoire newtonienne du christianisme.[7]

 

Pour arriver à ses conclusions, Newton étudia une somme énorme de documents au point qu'il maîtrisait le corpus entier des Pères de l’Église. Dans ses cahiers théologiques, Newton cita ainsi Irénée, Tertullien, Cyprien, Eusèbe, Clément, Basile, Jean Chrysostome, Alexandre d'Alexandrie, Hilaire, Grégoire de Nysse, Cyrille d'Alexandrie, Léon Ier, et beaucoup d'autres encore. Il connaissait tous les travaux des théologiens tels que saint Augustin, Athanase et Origène. Toutefois, l'essentiel de ses citations provenait des premiers Pères. Et son attention demeurait rivée aux problèmes conjoints de la nature du christ et la nature de Dieu. Il en vint à être convaincu qu'une fraude massive, entamée aux IVe et Ve siècles, avait perverti l'héritage de la première Église.[8]

 

Newton résuma sa christologie antitrinitaire en 12 thèses qui semblent dater de 1672-1675. Sa dixième thèse dit expressément : "Par Dieu Tout-puissant, nous entendons toujours le Père." Et sa onzième thèse : "Le fils en toutes choses soumet sa volonté à la volonté du père, ce qui ne serait pas raisonnable s'il était égal au père." Pour Newton, le culte du Christ comme Dieu était de l’idolâtrie, le péché fondamental à ses yeux. Ce qu'il y avait de particulièrement horrible dans la perversion triomphante au IVe siècle, c'était le retour de la chrétienté à l’idolâtrie après que la première Église eut établi le culte précis d'un seul vrai Dieu.[9]

 

Dans son Histoire des religions, Newton conclut à propos de Dieu le père tout-puissant :"On ne sait pas avec certitude par quel nom les premières nations appelaient le Dieu de la Nature. (...) Elles l'appelaient peut-être par des noms de signification semblable dans leur langue, tels que Iah et Jehova chez les Juifs.(...) Noé appelle Dieu par ce nom."[10]

 

La position antitrinitaire de Newton partagée par les Témoins de Jéhovah

La Tour de Garde du 15 octobre 1977, contenait un article intitulé : "Isaac Newton cherchait Dieu." [11] Cet article très bien référencé, revient sur la démarche théologique de Newton. Il reproduit une partie du manuscrit original écrit de la main de Newton avec l'autorisation de la Bodleian Library d'Oxford. C'est un  fac-similé du manuscrit de "Relation historique de deux corruptions remarquables de l’Écriture" où Newton réfute la doctrine de la trinité.[12] Pour Newton, la Bible était la révélation de Dieu et la pierre de touche en matière d’enseignement et de doctrine. Il fallait l'étudier avec la logique et la raison. Newton rejetait la trinité parce qu'elle est "inintelligible. Depuis le concile de Nicée on n'y a jamais rien compris. Or, ce qui ne peut pas se comprendre ne relève pas de la croyance." Il relève que cette doctrine n'était pas enseigné par les premiers chrétiens.[13]

 

Dans un autre manuscrit conservé aujourd'hui à Jérusalem, Newton résume sa pensée et critique Luther en lui  reprochant d'avoir 'déduit un article de foi des Écritures (le dogme de la Trinité) alors que sa profession de foi ne vient pas des prophètes et des apôtres. Pour Newton, c'est une infraction qui rend Luther coupable des désordres et des divisions qui en résultent. '

 

Les Témoins de Jéhovah qui sont des chrétiens antitrinitaires commentent les positions théologiques newtoniennes qu'ils partagent : "La lecture des ouvrages religieux de Newton ne manque pas de nous impressionner par leur profondeur et nous révèle la puissance de pénétration et de réflexion de ce savant, son érudition extraordinaire et son intelligence des langues originales dans lesquelles la Bible a été écrite. Les conclusions qu'il tire sur la trinité forcent donc notre respect et notre estime."[14]

 


[1] Ph. Barbey, La laïcité : une ressource pour la médiation sociale ?, Bibliothèque de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Limoges, section des Sciences de l’Éducation, 1999, p. 31.

[2] https://www.futura-sciences.com/sciences/personnalites/matiere-isaac-newton-213/

https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/sir_Isaac_Newton/135134

[3] Isaac Newton, Écrits sur la religion,Traduction de l'anglais, présentation et notes de Jean-François Baillon,  Collection Tel, Gallimard, 1996.

[4] Richard Westfall, Newton, Flammarion, 1994.

[5] Voltaire, Lettres philosophiques, Paris, Garnier 1964, p.50.

[6] Richard Westfall, Newton, Flammarion, 1994, p.362.

[7] Isaac Newton, Écrits sur la religion,Traduction de l'anglais, présentation et notes de Jean-François Baillon,  Collection Tel, Gallimard, 1996, pp.34-38.

[8] Richard Westfall, Newton, Flammarion, 1994, p.359.

[9] Richard Westfall, Newton, Flammarion, 1994, p.361-363.

[10] Isaac Newton, Écrits sur la religion,Traduction de l'anglais, présentation et notes de Jean-François Baillon,  Collection Tel, Gallimard, 1996, p.63.

[11] La Tour de Garde, 15 octobre 1977, WBTS, pp. 628-631.

[12] Isaac Newton, Écrits sur la religion,Traduction de l'anglais, présentation et notes de Jean-François Baillon,  Collection Tel, Gallimard, 1996, pp.177-222.

[13] La Tour de Garde, 15 octobre 1977, WBTS, pp. 630.

[14] La Tour de Garde, 15 octobre 1977, WBTS, pp. 631.

 

Référence universitaire pour citer cet article :

- Barbey Ph., Les Témoins de Jéhovah : Une tradition chrétienne non trinitaire, Focus sociologique, consulté le [date].

 

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