2. Les Témoins de Jéhovah se sont-ils organisés pour faire face à ce problème ?
Les Témoins de Jéhovah ont créé des instances de médiation sous la forme d’un service d’entraide aux Témoins de Jéhovah hospitalisés (CLH – Comité de Liaison Hospitalier) chargé d’assister les malades d’une part et d’informer les médecins d’autre part[1].
En aucun cas, cette structure ne se substitue à la volonté du malade.
Suite aux actions d’information organisées en France par les CLH régionaux, environ 2000 médecins ont donné un accord de principe pour soigner les Témoins de Jéhovah dans le respect de leurs convictions. Les membres des CLH (coordonnés au niveau national) organisent des rencontres, des colloques, des conférences à l’intention des médecins, praticiens, spécialistes, chirurgiens afin de les informer exhaustivement sur les thérapeutiques alternatives aux transfusions sanguines, sur les produits non-sanguins palliatifs, sur les chirurgies lourdes réussies en France et à travers le monde sans faire appel aux techniques sanguines[2].
« La confiance indispensable dans la relation malade-médecin est renforcée par le fait que les patients Témoins de Jéhovah qui font appel au CLH (…) peuvent obtenir, sans perte de temps, le nom de plusieurs spécialistes de leur localité ayant déjà manifesté la volonté d’accorder un grand prix à la volonté du malade. (…) La structure française a souscrit un contrat auprès de la compagnie Mondial Assistance pour transférer, si besoin, le patient vers un établissement approprié lorsque le centre où il est hospitalisé n’est pas à même de poursuivre les soins en respectant ses convictions. Le cas échéant, il est aussi prévu de transférer du matériel médical ou une équipe sur le lieu d’hospitalisation afin d’utiliser des techniques d’épargne sanguine non disponibles sur place. (…) Grâce aux efforts des pionniers de la chirurgie sans transfusion, puis de tous ceux qui ont relevé le défi de respecter le choix thérapeutique des Témoins de Jéhovah, on sait aujourd’hui qu’il est possible de soigner ces derniers avec des résultats très satisfaisants. »[3]
Maintenant, si la vie d’un enfant dont les parents (ou l’un des parents) sont Témoins de Jéhovah est menacée et que le médecin affirme qu’il faut absolument transfuser ?
« Deux notions méritent ici une attention particulière: les soins dits « habituels », les soins dits « graves »: le droit établit une nuance entre soins « bénins », « habituels » et soins « graves ». La notion de soins « nécessaires » liés à « l’intérêt de l’enfant » peut exceptionnellement amener le médecin à agir seul, notamment en cas d’urgence. La Convention internationale des droits de l’enfant a pour originalité d’astreindre les acteurs du Droit à écouter l’enfant (l’enfant a même la droit d’avoir son propre avocat). Le refus de soins de la part des parents entraîne des réactions différentes: le médecin ou le soignant n’est pas habilité juridiquement à passer outre. (…) S’il y a urgence, il n’y a guère de place pour le doute (…) [mais] aucune jurisprudence n’est venue invalider une décision chirurgicale prise dans l’urgence. Il est vrai qu’en dernier ressort les médecins et chirurgiens ont pris l’habitude de recourir à l’autorité juridique. Il existe désormais un juge aux affaires familiales (1994), qui a naturellement vocation à régler les litiges au sein des familles, notamment dans le domaine de la protection sanitaire. Cette intervention n’est pas souhaitée par le Droit qui précise « qu’avant de saisir la Justice, les époux doivent faire appel à la pratique qu’ils avaient pu suivre dans des occasions semblables et qui leur tiendrait lieu de règle. »[4]
S’il s’agit d’un enfant assez grand pour exprimer ses convictions ou d’un adolescent, que faire en cas de refus de transfusion de leur part ?
« Chez le tout-petit, le refus est non-verbalisé (…). Chez les plus grands le refus est le plus souvent verbalisé comme chez l’adulte, les refus comme les consentements pouvant être conditionnels, certains adolescents (…) ayant souhaité un délai de réflexion pour se prononcer sur le principe d’une intervention qui leur était proposée. Le refus constitue une épreuve difficile pour le praticien et son équipe car mettant en cause l’exercice de sa mission, le fondement même de son action. (…) C’est lorsqu’il y a divergence de point de vue concernant l’intérêt de l’enfant que le refus intervient et que les problèmes se posent. Ce refus, qui pourrait apparaître comme une remise en question personnelle, mérite d’être interprété en fonction du contexte médical et psychologique, de façon à y apporter la réponse la plus adaptée. Celui-ci soulève en effet une multitude de question nécessitant une bonne analyse, en dehors de tout climat passionnel. (…) La satisfaction de ce refus risque-t-elle de porter gravement atteinte à l’intérêt de l’enfant et, dans l’affirmative, où se situe cet intérêt ? En fonction de la façon dont le praticien et son équipe analyseront la situation, cet intérêt ne sera pas univoque : (…)
- Appréciation du rapport contraintes/bénéfices attendu du programme thérapeutique proposé (…)
- Appréciation de l’état de lucidité de l’interlocuteur (patient ou parents) pour déterminer si celui-ci est conscient ou non de ses intérêts. (…)
Chaque praticien, chaque équipe appréciera l’intérêt de l’enfant en fonction de sa personnalité, de son vécu, de sa formation. Cette appréciation pourra (…) être très différente d’un praticien ou d’une équipe à l’autre (…). » (…) «Dans de nombreux pays, la législation a établi une « majorité sanitaire » différente de la majorité civile. Ainsi, le droit québécois fixe à quatorze ans l’âge de la majorité en matière médicale. (…) En Grande-Bretagne, le Family Law Reform Act de 1969 accorde au mineur ayant atteint l’âge de seize ans le pouvoir de consentir personnellement aux soins (…). En France, c’est la majorité civile qui permet à l’individu d’émettre un acte de volonté opposable au tiers pour tous les actes de la vie civile. Dès lors, ce sont les parents qui ont seuls le droit de donner leur consentement à un acte chez l’enfant, la seule exception étant l’émancipation. Or, certains mineurs, en raison de leur capacité de jugement et de raisonnement, ne peuvent être tenu à l’écart des décisions médicales concernant leur propre personne. Ainsi le Pr. Royer estime qu’il faut obtenir le consentement des parents, mais qu’à partir de l’âge de dix ou douze ans, l’enfant doit également être informé, dans la mesure bien sûr où son niveau intellectuel le permet. Selon le Pr. Royer, on doit avoir, à partir de cet âge, à la fois le consentement éclairé de l’enfant et la non-objection des parents. »[5]
Le CLH peut apporter son concours dans ces cas difficiles mais heureusement très rares[6]. D’autant que cette structure peut, sur la demande d’un médecin avec l’accord de son patient ou du patient lui-même, faciliter le transfert d’un malade, y compris d’un enfant, vers un autre établissement hospitalier. Le service possède aussi un numéro de téléphone d’urgence 24h/24 et fait preuve, grâce à son réseau régional de proximité, d’une réactivité quasi immédiate. La structure propose aussi aux médecins la consultation d’une banque de données d’environ 4000 articles et la mise à disposition d’informations de première main issues de la littérature médicale de niveau international. Elle peut également mettre en lien des médecins avec d’autres, rompus à l’utilisation des alternatives à la transfusion.
Que pensent les médecins de cette structure médicale d’entraide aux malades Témoins de Jéhovah hospitalisés ?
« Les Témoins de Jéhovah disposent d’un réseau de liaison médicale, avec un numéro d’urgence accessible 24 heures sur 24. »[7] « Afin de pouvoir dialoguer avec les équipes soignantes, les Témoins ont mis en place des Comités de Liaison Hospitaliers dans la plupart des villes où existe un CHU. »[8] « Les membres du comité peuvent fournir au médecin une information claire concernant la position des Témoins de Jéhovah et l’utilisation de traitements alternatifs. »[9]
Et qu’en disent des juristes ?
« Ainsi, sur le plan structurel, le Bureau d’information hospitalier des Témoins de Jéhovah reste un partenaire actif dans la recherche de solutions substitutives à la transfusion sanguine.(…) Ce service d’information a pour but de faciliter la communication entre les différents partenaires dans le cadre de la relation médecin-malade témoin de Jéhovah, de favoriser l’échange de moyens et techniques entre équipes médicales. »[10] « En France, le Bureau d’information hospitalier créé par les Témoins de Jéhovah depuis 1990 est un service d’information, avec un numéro d’urgence accessible 24 h/24, afin de faciliter la communication entre médecins et malades (…) Témoins de Jéhovah, de favoriser l’échange de moyens et techniques et enfin de développer l’information hospitalière sur la chirurgie sans transfusion et les solutions substitutives. »[11]
Ainsi, les Témoins de Jéhovah se sont organisés efficacement pour permettre aux médecins de respecter la conscience de leurs malades sans violer la leur. Le rapport médecin-malade s’en trouve nettement amélioré grâce à un contrat moral basé sur le respect mutuel et la confiance réciproque.
[1] Un service d’assistance et d’information à votre disposition : Le Comité de liaison hospitalier des Témoins de Jéhovah, Assistance 24h/24 – contact : 02 32 25 55 55. Plaquette de présentation, 2000. ‘Les CLH sont présents dans 43 villes de France : Ajaccio, Angers, Annecy, Arras, Avignon, Bastia, Belfort, Besançon, Béziers, Bordeaux, Brest, Caen, Chambéry, Chartres, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Lille, Limoges, Lyon, Marseille, Metz, Montpellier, Mulhouse, Nancy, Nantes, Narbonne, Nice, Nîmes, Orléans, Paris (Ile de France), Pau, Perpignan, Poitiers, Reims, Rennes, Rouen, Saint-Brieuc, Saint-Étienne, Strasbourg, Toulouse, Tours, Troyes. Le CLH est une structure privée nationale et internationale composée, en France, de plus de 200 ministres du culte formés pour assister les patients qui le sollicitent et dialoguer avec le personnel médical. Son action s’inscrit dans le cadre des recommandations du Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) (Rapport et recommandations n° 58, Paris, 1998) à propos des partenaires associatifs du système de santé : aider le patient à comprendre son itinéraire thérapeutique y compris dans sa dimension religieuse, favoriser un vrai dialogue médecin-patient aboutissant à des décisions prises en commun et véritablement partagées, créer un climat de confiance.’
[2] Le dernier colloque s’intitule Médecine et Chirurgie sans transfusion - l’alliance des compétences au service du patient. Le dossier d’information remis aux médecins et chirurgiens (mars 2000) contient des rapports médicaux internationaux: Transplantation hépatique chez un témoin de Jéhovah (O. Detry – The Lancet, mai 1999), Chirurgie avec économie de sang (La revue Prescrire, janvier 1994), Chirurgie cardiaque chez les adultes témoins de Jéhovah (J. Séguin – La Presse Médicale, 26 octobre 1991), Chirurgie hémorragique chez deux enfants de témoins de Jéhovah refusant l’autotransfusion programmée : place de l’érythropoïétine (P. Roure – Annales françaises d’Anesthésie et de Réanimation 1998), Mesures thérapeutiques pour éviter les transfusions sanguines (5 pages), Médecine et chirurgie sans transfusion – en bref.
[3] A. Najand, L’expérience des Témoins de Jéhovah, Structure internationale pour les problèmes relatifs au choix thérapeutique des Témoins de Jéhovah, in Sophie Gromb et Alain Garay (sous la direction de) Consentement éclairé et transfusion sanguine aspects juridiques et éthiques, Rennes, Éditions École Nationale de la Santé Publique (ENSP), 1996, pp. 115-117.
[4] N. Léry, Le tiers, les parents et l’enfant vulnérable, Soins, Éthique, Consentement de l’Enfant, Le groupe familial, Fédération Nationale des Écoles des Parents et des Éducateurs (FNEPE-Services), n° 146, janvier-mars 1995, pp. 5-11.
[5] J.F. Karmann, Le refus de soins chez l’enfant et l’adolescent, Soins, Éthique, Consentement de l’Enfant, Le groupe familial, Fédération Nationale des Écoles des Parents et des Éducateurs (FNEPE-Services), n°146, janvier-mars 1995, pp. 52-60.
[6] Première médicale : Transplanter sans transfuser, La Montagne, samedi 24 février 2001 : « Première médicale Transplanter sans transfuser Los Angeles.- Un nourrisson de sept mois, fils de témoins de Jéhovah, a pu bénéficier d’une greffe de foie au cours d’une intervention chirurgicale réalisée sans transfusion sanguine, la famille refusant cette pratique, au nom de ses croyances religieuses. Cette première chirurgicale pourrait rapidement devenir une routine. Alden Michael Rush, originaire de Tipton, dans l’Iowa, et dont les parents sont témoins de Jéhovah, a ainsi reçu 20% du foie de sa grand-mère, Vicky Rush, à l’hôpital pour enfants de Los Angeles. « Nous avons commencé par cette famille à cause de ses croyances. Mais, dorénavant, nous allons élargir cette chirurgie à tous les enfants, de manière à réduire l’utilisation du sang et de ses produits », a commenté le docteur Yuri Genyk, membre de l’équipe chirurgicale. (…) Deux semaines après son opération, l’estomac du nourrisson aux yeux bleus a retrouvé une taille normale et l’ictère (jaunisse) dont il souffrait a commencé à disparaître, s’est félicité sa mère. « Maintenant, c’est un enfant normal : il sourit, il joue avec ses jouets. Je l’ai même entendu rire et gazouiller pour la première fois », dit-elle. Cette première médicale est survenue alors que la Cour suprême de Pennsylvanie a jugé, mercredi, que les témoins de Jéhovah n’étaient pas tenus à accepter une transfusion sanguine au nom de leurs convictions religieuses, même si leur vie pouvait être sauvée. »
[7] M. Boyd, L’obstétricien, le gynécologue et les Témoins de Jéhovah [Editorial], Journal SOGC, juillet-août 1992, 14 (n°6) : 13-16.
[8] S. Guinard, La lettre de l’hémovigilance et de la transfusion, septembre 1995, 4 : 1,2.
[9] R.K. Spence, Surgical Red Blood Cell Transfusion Practice Policies. Amer Surg., Consensus Conference: Blood Management-Surgical Practice Guidelines, Reprinted from December 1995, 170:6A (suppl) 14S-15S.
[10] D. Delmas, A. Garay, Le Bureau d’information hospitalier des Témoins de Jéhovah, La Gazette de la transfusion, 1993, 88 : 36-38.
[11] F. J. Pansier, Transfusion et Religion, La Gazette du Palais, 11 janvier 1995, pp. 24-28.
Référence universitaire pour citer cet article :
- Barbey Ph., Les Témoins de Jéhovah refusent la transfusion de sang : Qu'en disent les médecins ?, Focus sociologique, consulté le [date].