1. Pourquoi les Témoins de Jéhovah refusent-ils les transfusions de sang?
Il faut être très précis sur les réponses que l'on peut apporter à cette question récurrente et tout d'abord, il faut délimiter clairement la question. Les Témoins de Jéhovah ne refusent pas les transfusions (perfusions) d'autres produits non sanguins. Il ne refusent pas les prises de sang. Leur refus est un refus sélectif de certaines formes de transfusions de composantes principales du sang.
Le refus d’absorber du sang, sous quelques formes que ce soit, est bel et bien chez les Témoins de Jéhovah une de leurs croyances. « Nous croyons fermement que la loi de Dieu sur le sang n’est pas susceptible d’être réformée en fonction d’opinions changeantes. »[1]
Quel est l’argument chrétien des Témoins de Jéhovah ? Ils se réfèrent au contenu du premier concile apostolique tenu vers l’an 49 à Jérusalem. Ce concile est présidé par le disciple Jacques. [2] Il réunit les apôtres et les anciens de la congrégation de Jérusalem. « (L’Eglise) a résolu (…), dès l’époque de sa formation, la question essentielle de l’entrée des païens dans la communauté qui, à l’origine, appartenait tout entière au peuple juif. (…) Le concile de Jérusalem, en l’an 49, est présenté comme la réunion des Anciens autour des apôtres sur le modèle de l’assemblée de Moïse (Actes, XV). A cause de la décision fondamentale qu’il eut à prendre, il demeure le type et le modèle de tout concile, dont la résolution se trouve consignée dans l’Ecriture sainte. »[3]
Quelle est la décision prise par ce concile historique et fondateur pour réglementer l’entrée des croyants dans la communauté chrétienne ? La lettre circulaire qui reproduit les conclusions des débats entre les membres du concile est toujours consultable dans le livre des Actes des Apôtres. Elle dit ceci[4] :
« Les apôtres, les anciens et les frères saluent les frères d’origine païenne qui se trouvent à Antioche, en Syrie et en Cilicie.
Nous avons appris que certains des nôtres étaient allés vous troubler et bouleverser vos esprits par leurs propos ; ils n’en étaient pas chargés. Nous avons décidé unanimement de choisir des délégués que nous vous enverrions avec nos chers Barnabas et Paul, des hommes qui ont livré leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ. Nous vous envoyons donc Judas et Silas pour vous communiquer de vive voix les mêmes directives.
L’Esprit Saint et nous-mêmes, nous avons en effet décidé de ne vous imposer aucune autre charge que ces exigences inévitables : vous abstenir des viandes de sacrifices païens, du sang (grec, aïmatos[5]), des animaux étouffés et de l’immoralité. Si vous évitez tout cela avec soin, vous aurez bien agi. Adieu ! »
Il n’y a donc aucune ambiguïté sur le fondement chrétien du refus d’absorber du sang. Il s’agit d’un ordre apostolique clair à destination de l’Église universelle. Ce refus des chrétiens ne fut pas sans être un moyen de pression sur eux. « Dés le début du deuxième siècle, l’Empire romain a voulu forcer les chrétiens à consommer du sang, parfois de façon subtile, en leur présentant des boudins gonflés de sang. Quand ces chrétiens refusaient, il en allait souvent de leur vie, de la même façon qu’aujourd’hui des Témoins (de Jéhovah) peuvent mourir des suites d’un refus de transfusion. »[6]
Les Témoins de Jéhovah veulent garder une attitude cohérente. Pour eux, s’abstenir du sang, inclut la transfusion sanguine. Manger du sang par la bouche ou, grâce aux techniques modernes qui n’existaient pas au premier siècle, se le faire injecter dans le corps par une autre voie, revient strictement au même. « Le refus sélectif de la transfusion sanguine par les fidèles de ce mouvement est basé sur des textes bibliques qui ordonnent de s’abstenir du sang. (…) Cette position strictement religieuse a été clairement énoncée en 1945[7],à une époque où la médecine commençait à considérer l’acte transfusionnel comme bénin et a priori toujours salvateur. »[8]
Les Témoins de Jéhovah recherchent-ils le martyre ?
Ceci dit, les Témoins de Jéhovah ne recherchent pas le martyre, ni pour eux et encore moins pour leurs enfants. « Le refus du sang est-il une forme de suicide ? Les Témoins tiennent vraiment à la vie et la respectent. S’ils refusent la transfusion, ils ne s’opposent nullement aux thérapeutiques de remplacement. (…) Les Témoins soulignent que pour eux le risque de mourir d’une hémorragie n’est guère plus élevé que celui de mourir d’un accident de voiture, d’un cancer ou d’une affection cardio-vasculaire. Or, peu de personnes logiques soutiendraient que conduire une voiture ou fumer est un suicide actif, ou que ces activités justifient une usurpation des droits fondamentaux de l’individu par des médecins ou des avocats. »[9]
Les Témoins de Jéhovah sont conscients qu’aujourd’hui les transfusions de sang total deviennent de plus en plus rares. Leur position reste simple : pour eux, le sang est caractérisé par ses principaux constituants à savoir les globules rouges (ou hématies –grec, sang, aïmatos), les globules blancs, les plaquettes et le plasma. C’est donc ce qu’ils refusent toujours. « Les Témoins de Jéhovah estiment qu’il serait contraire à la loi de Dieu d’accepter du sang total ou l’un quelconque de ces composants majeurs. On notera d’ailleurs que le respect de cette position fondée sur la Bible les a protégés de nombreux dangers, y compris de maladies comme l’hépatite et le sida, qui peuvent être transmis par le sang. »[10]
En ce qui concerne les autres composants ou fractions du sang, le collège central pose un principe : « Pour ce qui est des fractions de l’un quelconque des composants majeurs du sang, chacun se détermine individuellement, en conscience, après avoir bien réfléchi dans la prière. »[11]
Maintenant que se passe-t-il si un médecin pense qu’il faut absolument transfuser pour sauver la vie du patient Témoin de Jéhovah ?
Il faut savoir trois choses :
1) Les Témoins de Jéhovah ne plaisantent pas avec leur engagement chrétien. Pour eux, le respect de l’ordre apostolique conciliaire est non négociable. Ils veulent être avertis de la possibilité d’une transfusion plutôt que d’être mis devant le fait accompli. Ils portent d’ailleurs toujours sur eux, avec leurs papiers, un document intitulé « Instructions médicales PAS DE SANG », mis à jour chaque année et exprimant clairement leur refus de transfusion sanguine. Cette attestation a une valeur légale et peut effectivement être opposée aux tiers. Un sondage montre que deux tiers d’entre eux au moins porteraient plainte s’ils étaient transfusés contre leur volonté.
2) Les Témoins de Jéhovah ne refusent pas toutes les formes de transfusions sanguines. Ils estiment en effet que l’ordre apostolique vise le sang qui a été sorti d’un corps pour être délibérément absorbé par un autre. Ainsi, si on leur propose une transfusion autologue peropératoire ou postopératoire immédiate, il y a de forte chance qu’ils l’acceptent. En effet, cette forme de transfusion utilise le propre sang du malade (autotransfusion) et réintroduit immédiatement ce sang dans son propre organisme, comme une simple extension du circuit sanguin.
3) Les Témoins de Jéhovah acceptent les soins d’une façon générale et les techniques d’alternative aux transfusions sanguines en particulier. Ils acceptent aussi les produits permettant de suppléer aux transfusions.[12] Ces techniques et ces produits sont aujourd’hui nombreux et connus. Et les Témoins de Jéhovah se chargent de les faire encore mieux connaître [13].
Mais le respect religieux du sang ne se limite pas pour les Témoins de Jéhovah à la seule question de la transfusion sanguine. Ne pas verser le sang implique aussi pour eux le respect de la vie et le refus total de la violence y compris dans le cadre des conflits armés opposants les gouvernements de la terre. Seul le royaume millénaire du Christ encore à venir sera capable d’instaurer définitivement la paix sur la planète tout entière.
[1] La Tour de Garde, vol.121, n°12, 15 juin 2000, p. 29.
[2] TOB, Les Actes des Apôtres, chapitre 15, versets 6 à 35.
[3] B. Dupuy, Concile, L’Histoire du christianisme, Paris, Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, 2000, p. 287.
[4] TOB, Les Actes des Apôtres, chapitre 15, versets 23 à 29.
[5] B. Wilson, Emphatic diaglott, édition de 1942, Actes 15, 29.
[6] A.P. Vercillo, S.V. Duprey, Jehovah’s Witnesses and the transfusion of Blood Products, New York State Journal of Medicine, september 1988 – volume 88, number 9, in Le refus des transfusions sanguines Aspects juridiques, Collection AMS (Association Médico-Scientifique d’information et d’assistance du malade), 1990, p. 143.
[7] La Tour de Garde, 1er juillet 1945, pp. 195-204.
[8] A. Najand, L’expérience des Témoins de Jéhovah, Consentement éclairé et transfusion sanguine, aspects juridiques et éthiques, Rennes, Editions Ecole Nationale de la Santé Publique (ENSP), 1996, p. 105.
[9] A.P. Vercillo, S.V. Duprey, Jehovah’s Witnesses and the transfusion of Blood Products, New York State Journal of Medicine, september 1988 – volume 88, number 9, in Le refus des transfusions sanguines Aspects juridiques, Collection AMS (Association Médico-Scientifique d’information et d’assistance du malade), 1990, pp.145.
[10] La Tour de Garde, vol.121, n°12, 15 juin 2000, p. 29.
[11] idem, p. 31.
[12] A.P. Vercillo, S.V. Duprey, Jehovah’s Witnesses and the transfusion of Blood Products, New York State Journal of Medicine, september 1988 – volume 88, number 9, in Le refus des transfusions sanguines, Aspects juridiques, Collection AMS (Association Médico-Scientifique d’information et d’assistance du malade), 1990, p. 144 : « Often there is sufficient time for the physician to discuss with the patient whether a transfusion is indicated and what alternatives exist. Some alternatives include autologous transfusion, autotransfusion, and the use of blood substitutes. Currently no consensus exists regarding the acceptability of these alternatives among Jehovah’s Witnesses. If satisfactory, however, their use may eliminate potential conflict.»
[13] Les Témoins de Jéhovah et les Alternatives à la Transfusion de Sang, ; Service d’Information Hospitalier des Témoins de Jéhovah, Assistance 24h/24 02 32 25 55 55, plaquette d’informa [13] La Tour de Garde, vol.121, n°12, 15 juin 2000, p. 29.u patient Témoin de Jéhovah (Procédés ou produits acceptés, Procédés ou produits acceptés par certains, refusés par d’autres, Procédés ou produits refusés.) »
Référence universitaire pour citer cet article :
- Barbey Ph., Pourquoi les Témoins de Jéhovah refusent-ils la transfusion de sang ?, Focus sociologique, consulté le [date].