Témoins de Jéhovah : La religion la plus persécutée du monde

 

Un rapport de la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale décrit la persécution des Témoins de Jéhovah comme un phénomène mondial.

 

par Massimo Introvigne 12/15/2020

En Érythrée, si vous êtes membre d’une certaine religion, vous serez déchu de votre citoyenneté, vous perdrez tous vos droits civils et vous finirez probablement en prison. Si vous tentez de pratiquer cette religion au Tadjikistan ou à Singapour, vous pourriez être arrêté. En Russie, votre religion est interdite et vous pourriez être emprisonné et même torturé. Même dans certains pays démocratiques, en tant que membre de cette religion, vous risquez d’être harcelé de différentes façons.

 

C’est la situation des Témoins de Jéhovah, selon un rapport publié le mois dernier par l’USCIRF, la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale. L'USCIRF est une commission bipartite du gouvernement fédéral américain, dont les membres des deux partis politiques, démocrate et républicain, sont désignés par les dirigeants du Congrès et nommés par le président.

 

Le 4 décembre, l’Érythrée a libéré 28 Témoins de Jéhovah peut-être à cause de ce rapport de l'USCIRF. Ils avaient passé entre 5 et 26 ans en prison. Mais 24 autres Témoins y sont toujours.

 

Parfois les arbres peuvent cacher la forêt dans la zone obscure des violations de la liberté religieuse. Alors que les médias internationaux signalent régulièrement que la situation des Témoins de Jéhovah en Russie est plutôt dramatique, le rapport de l'USCIRF est un document unique et précieux de portée mondiale. D’autres groupes religieux sont aussi persécutés mais leurs victimes sont concentrées dans un pays ou dans un nombre limité de pays. Les Témoins de Jéhovah sont persécutés sur différents continents, et discriminés ou harcelés dans des dizaines de pays. Le rapport de l’USCIRF comporte des sections sur l’Érythrée, la Russie, le Tadjikistan, le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, Singapour et la Corée du Sud, mais il est clair que ce ne sont là que des « exemples ». Les Témoins souffrent dans plusieurs autres parties du monde. L'USCIRF admet que ses exemples "n'incluent pas les nombreux autres pays où leur foi est interdite ou fait l'objet de harcèlement officiel. En fin de compte, la situation est encore plus sombre que ne l’indique notre enquête. »

 

Une des raisons pour lesquelles les Témoins de Jéhovah sont persécutés est leur position intransigeante sur l'objection de conscience, basée sur des arguments tirés de la Bible. Selon le rapport, cela est mal interprété, soit en raison d’un manque de compréhension, soit de façon malhonnête, comme de l’antipatriotisme ou du "rejet des valeurs officielles". En fait, les Témoins de Jéhovah sont des citoyens respectueux des lois. Ils sont prêts à "servir la société de façon pacifique" s’ils se voient proposer des alternatives de service civique clairement situées en dehors du système militaire.

 

L'USCIRF note que les Nations Unies et d’autres organismes internationaux ont déclaré à maintes reprises que l’objection de conscience est un droit de l’homme. Pourtant, les Témoins de Jéhovah continuent d'aller en prison dans plusieurs pays parce qu'ils refusent de servir dans l'armée. Il s’agit notamment de pays engagés dans des conflits endémiques, tels que l’Azerbaïdjan (avec l’Arménie) et la Corée du Sud (avec la Corée du Nord). Dans ce dernier pays, du fait que les décisions de la Cour suprême de 2018 et 2020 ont déclaré que l’objection de conscience pour des raisons religieuses n’est pas un crime, le service alternatif doit être proposé, et les Témoins de Jéhovah emprisonnés doivent être libérés. Cependant, quatre d’entre eux sont encore en prison en Corée du Sud, car la « sincérité » de leur objection de conscience a été contestée. 19 000 d’entre eux ont été emprisonnés depuis 1953. La Corée du Sud commence à offrir une alternative civile, mais exige que ceux qui la choisissent servent une année de plus que la durée normale du service militaire, ce qui est une autre forme de discrimination.

Les Témoins de Jéhovah Paulos Eyasu, Isaac Mogos, et Negede Teklemariam, emprisonnés en Érythrée depuis 1994.

Le rapport mentionnait que 52 Témoins de Jéhovah étaient en prison en Érythrée (comme mentionné précédemment, 28 d'entre eux ont été libérés le 4 décembre). "Certains de ces Témoins sont emprisonnés depuis plus de 20 ans. Selon les rapports, quatre Témoins de Jéhovah sont morts en prison, et trois hommes âgés sont morts peu après leur libération, en raison de mauvaises conditions de détention et de mauvais traitements de la part des autorités pénitentiaires." Le rapport insiste sur le fait que, comme dans d'autres pays, l’objection de conscience est rarement la seule raison pour laquelle les Témoins sont persécutés. Certains détenus en Érythrée ne sont accusés que d’avoir organisé illégalement des réunions religieuses. Dans ce pays africain, être Témoins de Jéhovah conduit même à être privé de sa citoyenneté et de ses droits civils. A Singapour,  alors que la situation s’est quelque peu améliorée ces dernières années, les Témoins de Jéhovah ont été "désenregistrés" en 1972, et les rassemblements religieux de groupes non enregistrés peuvent toujours être interrompus par la police, et les assistants sont susceptibles d'être arrêtés.

 

Le Rapport explique qu'en Russie et dans les républiques post-soviétiques du Caucase et de l'Asie centrale, la persécution est provoquée par la propagande soviétique qui "a passé des décennies à diaboliser les Témoins de Jéhovah comme un danger pour la société." Au cours des dernières années, il a été facile pour la Russie post-soviétique de stigmatiser la communauté et de passer de l'accusation historique d'"antisoviétisme" à celle d'extrémisme. Elle a utilisé le discours antiaméricain et anti-occidental pour ajouter d'autres raisons de réprimer les Témoins, avec le soutien de la partie la plus conservatrice de l’Église orthodoxe russe. L’influence russe a été déterminante dans plusieurs républiques post-soviétiques, pour aboutir à une interdiction totale au Tadjikistan, à l’accélération de la répression au Turkménistan et à la discrimination dans d’autres pays.

Shamil Hakimov, condamné à sept ans et demi de prison en 2019 au Tajikistan pour avoir parlé de ses croyances de Témoin de Jéhovah.

Pourquoi les Témoins de Jéhovah sont-ils persécutés ? Le rapport mentionne la prolifération dangereuse dans le monde des lois visant les groupes religieux "extrémistes". Ces lois sont justifiées par la nécessité de réprimer les organisations violentes et terroristes. Mais elles sont ensuite utilisées contre les Témoins, alors que "le groupe est doctrinalement apolitique et pacifiste". Cette législation anti-extrémiste vague et radicale qui poursuit ces membres comme des "extrémistes" dangereux est utilisée de façon clairement abusive.

 

En définitive, les raisons pour lesquelles les Témoins sont discriminés et persécutés relèvent de l’étude scientifique. Un séminaire organisé en septembre 2020 à Vilnius et tenu en ligne en raison de la pandémie de COVID-19 a été entièrement consacré à cette question. La vidéo du séminaire est disponible et les actes sont publiés dans le Journal du CESNUR.

 

Ce que les Témoins de Jéhovah défendent, c’est le droit de vivre différemment dans ce monde, tout en appartenant à un royaume « qui n'est pas de ce monde », comme Jésus le dit en Jean 18:36. Nos sociétés sont-elles prêtes à tolérer ceux qui vivent d’une façon différente de celle de la majorité, pourvu qu’ils soient des citoyens pacifiques, honnêtes et respectueux des lois? Que la réponse soit "non" dans un nombre croissant de pays prouve que notre monde devient un environnement dangereux pour la liberté religieuse.

 

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