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France: “Le monde entier nous envie la MIVILUDES”
La mission antisecte remaniée tente à nouveau d’exporter à l'échelle internationale ses propos diffamatoires à l'encontre des Témoins de Jéhovah et d’autres organisations religieuses.
26 mai 2021 MASSIMO INTROVIGNE
traduit de l'anglais par Philippe Barbey
La MIVILUDES remaniée (20 mai 2021): Fenech and Schiappa. Facebook.
La mission gouvernementale française contre les « dérives sectaires » est régulièrement dénoncée par les principales ONG spécialisées dans la liberté religieuse et par les gouvernements, y compris des États-Unis, qui publient des rapports sur la liberté de religion ou de croyance à l’échelle internationale. Aussi, la prétention de l'ancien président et membre du nouveau Conseil d’Orientation de la MIVILUDES, Georges Fenech, dans une interview du 20 mai, selon laquelle « tout le monde nous [la France] envie la MIVILUDES » peut apparaître comme un exercice typique de l’humour noir français.
La MIVILUDES, la mission interministérielle de suivi et de lutte contre les dérives sectaires, créée en 2002, succède à l’Observatoire interministériel des sectes (1996-1998) et à la MILS, mission interministérielle de lutte contre les sectes (1998–2002). Le mot français « secte » a le même sens péjoratif que le mot anglais « cult » et est traduit par la plupart des universitaires comme « culte » plutôt que « secte ». La mission a été récemment réorganisée et financée grâce aux efforts de Marlène Schiappa, une politicienne qui a décidé de se lancer dans le mouvement antisecte pour des raisons qui lui sont propres. Depuis juillet 2020, M. Schiappa est la ministre déléguée responsable de la citoyenneté, attachée au ministre de l’Intérieur, et chargée notamment des « sectes ».
Comme l’écrivait récemment l’universitaire américain Stuart Wright, la France a une « politique gouvernementale extraordinaire d’intolérance religieuse » contre les nouveaux mouvements religieux : « Dire que cette approche est unique en politique internationale serait un euphémisme. » Dans la même interview, Fenech a lui-même qualifié la MIVILUDES d’« exception française ».
Pourtant, depuis 25 ans, la MIVILUDES et ses prédécesseurs tentent d’exporter le modèle français de la « lutte contre les sectes » vers d’autres pays, généralement sans grand succès, mais il y a des exceptions.
Le site internet de la MIVILUDES explique qu’il fait partie de sa mission d’informer les autres pays, à travers une coopération avec le ministère français des Affaires étrangères, de « ses activités de suivi et de lutte contre les dérives sectaires ». Mais il fait plus. Il estime qu’il devrait « promouvoir au niveau européen [et au-delà] une attitude de lutte contre les dérives sectaires ». Les rapports annuels de la MIVILUDES détaillent comment ses agents se déplacent chaque année dans différents pays, participent à des réunions internationales, assistent et soutiennent des conférences antisectes pour promouvoir le « modèle français », répandent des informations (négatives) sur les groupes ciblés comme « sectes » en France, et réagissent aux critiques des universitaires, des ONG et des gouvernements contre la politique antisecte française.
Quels ont été les résultats de ces énormes efforts? La MIVILUDES ne s'étend que rarement sur ses contacts avec la Russie et la Chine, deux pays dans lesquels la répression des minorités religieuses qualifiées de "sectes", y compris les Témoins de Jéhovah en Russie et des dizaines de groupes en Chine, se traduit par des détentions arbitraires, la torture et même des exécutions sans procès. Une coopération existe, et les principaux sites antisectes russes et chinois annoncent régulièrement les activités de la MIVILUDES et traduisent certaines de ses déclarations, y compris contre les Témoins de Jéhovah. Cependant, la répression sévère des minorités religieuses en Chine et en Russie n’est pas le résultat des efforts de la France. Elle existait avant la MIVILUDES et est le produit d’une lutte contre le pluralisme religieux inhérent à la nature même des régimes locaux. Pourtant, tout soutien des pays démocratiques aux pratiques de persécution et de répression en Russie et en Chine ne peut être qualifié que de honteux.
Il y a certainement eu beaucoup d’agitation pour exporter la MIVILUDES en Australie, notamment par l’intermédiaire de l’ancien sénateur antisecte Nick Xenophon. Il a appelé à la création d’une MIVILUDES australienne pour « surveiller et contrôler les activités des sectes en Australie ». Xenophon a également joué un rôle déterminant dans l’organisation de la réunion de Fenech, alors qu’il était président de la MIVILUDES, avec un procureur australien de haut rang à Canberra. Cependant, les efforts de Xenophon ont échoué. Il a finalement quitté la politique et a décidé de travailler pour défendre la société chinoise Huawei contre des accusations selon lesquelles elle pourrait représenter un risque pour la sécurité en Australie en raison de ses liens avec le Parti communiste chinois.
La MIVILUDES affirme que la France « est la seule avec la Belgique et, dans une moindre mesure, l’Allemagne et l’Autriche, à avoir adopté un système à la fois juridique et administratif de surveillance et de lutte contre les dérives sectaires ». En Allemagne et en Autriche, les campagnes contre les « sectes » ont été soutenues par des institutions gouvernementales. Cependant, ce sont des commissaires antisectes (Sektenbeauftragten) nommés par les Églises protestante et catholique qui les ont lancées. Encore une fois, elles existaient avant la MIVILUDES. La logique de ces campagnes est différente de celles menées en France. En effet, dans ce pays, les campagnes antisectes visent à protéger la notion très française de laïcité plutôt qu'à maintenir la position dominante des églises majoritaires. Cela n’empêche pas la MIVILUDES de fournir aux institutions allemandes et autrichiennes des documents d'information sur les religions minoritaires. La Belgique, dans sa partie francophone particulièrement, entretient des liens anciens et profonds avec la France. En 1998, elle créait le CIAOSN, Centre d'information et de conseil sur les organisations sectaires nuisibles. Le CIAOSN remplit les mêmes fonctions que la MIVILUDES et ses prédécesseurs, bien qu’avec moins de pouvoirs. Le CIAOSN n’intervient pas directement dans la « lutte » contre les « sectes », mais transmet ses conseils et recommandations à d’autres branches du gouvernement.
Il ne fait pas de doute que le CIAOSN est profondément influencé par la MIVILUDES, et Fenech lui-même s'est vanté de l'influence de l'institution française en Belgique. Le rapport de 2018 publié par le CIAOSN sur la réaction des Témoins de Jéhovah aux cas d’abus sexuels parmi leurs membres en est un bon exemple. Outre ses erreurs factuelles sur la question spécifique des abus sexuels, le rapport a commencé par une critique générale des Témoins de Jéhovah clairement inspirée par la propagande de la MIVILUDES.
Il serait cependant erroné d’évaluer le rôle international de la MIVILUDES uniquement en examinant ses contacts directs avec des institutions étrangères. En fait, la MIVILUDES augmente son influence grâce à sa relation symbiotique avec la FECRIS, la Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur les cultes et les sectes, qui est une organisation leader pour les mouvements antisectes en Europe et au-delà. Le site internet de la MIVILUDES décrit la FECRIS comme l’une de ses deux « associations-partenaires ». L’autre est l’Australian Cult Information and Family Support (CISF), qui a des liens avec l’ex-sénateur Xenophon. La CISF, reprenant la critique de Xenophon à l’égard des Témoins de Jéhovah et d’autres, a d'emblée défini les Témoins de Jéhovah comme « une religion cruelle et sans âme ».
Dans son rapport annuel 2008, qui portait notamment sur ses activités internationales, la MIVILUDES détaillait sa coopération étroite et continue avec les affiliés de la FECRIS et avec la FECRIS elle-même dans différents pays européens. Dans le même temps, elle reproche au CESNUR (l’organisation qui héberge Bitter Winter), à l'INFORM britannique et aux centres coopérant avec eux dans d’autres pays, d'utiliser l’expression « nouveaux mouvements religieux » plutôt que « sectes » et de les étudier plutôt que de les « combattre ».
Lors de très nombreux événements, La MIVILUDES et la FECRIS se sont présentées comme des partenaires se partageant les tâches. La MIVILUDES aide la FECRIS à recevoir de l'argent de la part des contribuables français, et diffuse au niveau national et international le contenu de documents sur les "sectes" préparé par la FECRIS.
Cette année, la MIVILUDES a annoncé qu’elle financerait des projets contre les « sectes » à hauteur de la somme sans précédent d’un million d’euros. Il est facile de prévoir que la majeure partie de cet argent ira à des organisations affiliées à la FECRIS.
L'annonce d'un million d'euros de la MIVILUDES.
La commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF) a identifié la FECRIS comme une menace majeure pour la liberté religieuse à l'échelle internationale. En Allemagne, la FECRIS a récemment été reconnue coupable de diffusion d’informations fausses et diffamatoires à propos des Témoins de Jéhovah par la Cour de district de Hambourg. C'est plutôt familier pour la MIVILUDES et Fenech, puisqu’ils ont été impliqués dans plusieurs cas similaires en France. En 2019, dans une affaire civile, Fenech avait été reconnu coupable par le Tribunal de Caen d’avoir violé la présomption d’innocence de l’Église de Scientologie dans une interview où il avait tenu pour acquis que l’Église était coupable d’actes répréhensibles pour lesquels elle faisait l’objet d’une enquête, mais dans laquelle personne n’avait été mis en examen.
Les juges de Caen avaient fait remarquer que M. Fenech s'était exprimé « en tant qu’ancien président de la MIVILUDES ». Il avait ainsi tenté de donner l’impression à son auditoire que, puisqu’il avait représenté le gouvernement dans ce domaine, ce qu’il avait dit était probablement vrai, ce qui n’était pas le cas.
La MIVILUDES fait la même chose dans la cadre de ses activités internationales. Elle exporte ses calomnies contre les Témoins de Jéhovah et d'autres organisations. Elle tente de donner l’impression que ces informations sont vraies puisqu’un organisme gouvernemental les diffuse, alors que ces informations proviennent en grande partie de la FECRIS et de ses organisations affiliées.
En 2020, lors de la Conférence annuelle sur les dimensions humaines de l’OSCE, l’USCIRF demandait au gouvernement des États-Unis de « contrer la propagande contre les nouveaux mouvements religieux faite par la Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur le sectarisme (FECRIS) ». L'USCIRF relevait l’implication continue d'individus et d'entités de ce mouvement antisecte dans la répression de la liberté religieuse.
Les activités des entités antisectes visant à réprimer la liberté de religion vont bien au delà de l'OSCE. La MIVILUDES est à la fois une agence gouvernementale et une "composante du mouvement antisecte" en raison de sa relation symbiotique avec la FECRIS. De ce fait, la MIVILUDES devrait être aussi dénoncée pour ses activités visant à calomnier les mouvements religieux et à mettre ainsi en danger la liberté de religion.
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