https://bitterwinter.org/jehovahs-witnesses-in-the-french-miviludes-report-five-mistakes/
Les Témoins de Jéhovah dans le rapport français
de la MIVILUDES : Cinq erreurs
Sans surprise, la méthodologie de la MIVILUDES conduit à des erreurs systématiques.
18 août 2021 MASSIMO INTROVIGNE
traduit de l'anglais par Philippe Barbey
L'exposition permanente " Le nom divin et la Bible en Français" au siège des Témoins de Jéhovah à Louviers. Source : jw.org
Dans un article précédent qui retraçait le rapport de la MIVILUDES pour les années 2018-2020 publié récemment par la mission interministérielle française de suivi et de lutte contre les dérives sectaires, j’ai relevé comment ce rapport souffre d’un problème méthodologique fondamental.
Le rapport s'appuie fondamentalement sur les saisines, c'est-à-dire les plaintes contre un mouvement religieux que n'importe qui peut envoyer à la MIVILUDES par lettre ou par le formulaire en ligne. Page après page, le rapport résume et cite ces saisines. Rien n'indique qu'elles aient été vérifiées, ni confrontées à la documentation scientifique sur les mouvements religieux mis en cause, encore moins rapprochées des déclarations des membres appartenant à ces organisations religieuses qui pourraient avoir un point de vue complètement différent.
J'expose ici maintenant un exemple de l'utilisation ou plutôt de la mauvaise utilisation massive de ces saisines. La partie du rapport concernant les Témoins de Jéhovah est basée sur 62 saisines reçues par la MIVILUDES en 2020, ajoutées à celles reçues les années précédentes. Cela ne fait pas beaucoup au regard du fait que les Témoins de Jéhovah sont actuellement 136.000 en France. Dans mon article précédent, j'ai déjà expliqué comment il est facile de manipuler le système des saisines. Les opposants aux Témoins de Jéhovah sont organisés et concertent leurs efforts pour envoyer des saisines à la MIVILUDES et donner ainsi l'impression fallacieuse d'une protestation populaire généralisée contre une certaine religion.
Premièrement, les Témoins de Jéhovah sont classés parmi les « mouvements religieux fermés d’inspiration chrétienne ». La principale caractéristique d’un « mouvement religieux fermé », dit le rapport, est « l’endoctrinement et le contrôle [l’embrigadement] des enfants ». Encore une fois, la MIVILUDES conclue qu'il s'agit de la caractéristique principale de ces groupes sur la base des saisines qu'elle a reçues. Cependant, cette notion de « mouvement religieux fermé » ne correspond à aucune définition scientifique et ne s’applique pas aux Témoins de Jéhovah. Les Témoins de Jéhovah envoient leurs enfants dans les écoles publiques, ce qui n’est guère compatible avec l’idée d’un contrôle strict véhiculé par le mot français « embrigadement ».
Plus généralement, la plupart des Témoins de Jéhovah ont un travail en dehors de leur assemblée et interagissent régulièrement avec des non-membres. Les Témoins de Jéhovah sont des croyants conservateurs qui vivent tranquillement, mais qui font partie intégrante du « monde extérieur », contrairement aux communautés religieuses « fermées » qui vivent en communauté dans des propriétés isolées. Une étude réalisée par des universitaires de l’Université d’Utrecht pour le compte du gouvernement néerlandais a soutenu que les Témoins de Jéhovah sont une « communauté religieuse fermée ». Toujours dans cette affaire, qui ne portait toutefois pas sur l'« embrigadement » des enfants, mes collègues J. Gordon Melton, Holly Folk et moi-même nous sommes opposés à cette notion de « communauté religieuse fermée » appliquée aux Témoins. Cela ne correspondait pas à l’usage le plus courant que l'on fait de ce terme dans la littérature du monde scientifique.
La MIVILUDES objecte que « la participation à la vie de la ville (élections, représentation) est interdite, ce qui peut contrevenir au droit à l’éducation aux valeurs démocratiques ». Les Témoins de Jéhovah ne votent pas et ne se présentent pas comme candidats aux élections politiques pour des raisons théologiques. Cela fait partie de leur liberté religieuse. C'est une forme d’« objection de conscience » que la plupart des pays démocratiques du monde ont reconnue comme légitime, tout comme ils ont reconnu les droits des Témoins de Jéhovah à l’objection de conscience en ce qui concerne le service militaire.
Il découle de la théorie du « mouvement religieux fermé » le commentaire étrange selon lequel les Témoins de Jéhovah pratiquent un isolement « brutal » de certains membres de leur communauté, y compris les « personnes handicapées » et les « personnes âgées ». Cette allégation peut avoir été rapportée dans certaines saisines malveillantes, mais ceux qui sont familiers avec les Témoins de Jéhovah savent que c'est à la fois faux et offensant. Je peux témoigner personnellement que les personnes âgées et les personnes handicapées sont traitées avec amour et patience par les Témoins de Jéhovah, qui considèrent cela comme faisant partie de leurs devoirs chrétiens.
Certains gouvernements ont même remis des prix aux Témoins de Jéhovah pour les soins qu’ils ont prodigués aux personnes handicapées, notant que l'assemblée « prend en considération non seulement l’accès physique à ses bâtiments, par l’entremise d’installations pour les personnes ayant des besoins particuliers; facilite également la communication et l’accès à la technologie en organisant des réunions pour le culte et d’autres activités en langue des signes, en fournissant des publications en braille et des vidéos en langue des signes. » Peut-être plus important encore, les Témoins de Jéhovah donnent de l’espoir aux personnes âgées et aux personnes handicapées en leur expliquant que les handicaps et les problèmes liés à la vieillesse ne sont pas éternels. Ils disparaîtront dans le Royaume de Dieu annoncé par Jésus-Christ dans lequel les Témoins de Jéhovah croient fermement.
Deuxièmement, les Témoins de Jéhovah sont critiqués pour leur « prosélytisme très actif », qui a pris la forme de lettres et d'appels téléphoniques pendant la crise du COVID-19. Il n’est pas spécifiquement allégué que les Témoins de Jéhovah ont enfreint une loi française concernant les appels téléphoniques non sollicités. Dans l’une des saisines, quelqu’un s’est plaint qu’une lettre lui avait été envoyée par les Témoins de Jéhovah quinze jours après qu’il (ou elle, le sexe du plaignant n’ayant pas été précisé) soit rentré chez lui après une courte période d’hospitalisation. La MIVILUDES en tire la conclusion que, puisque la lettre mentionnait la maladie et la guérison, c'est bien la preuve que les Témoins de Jéhovah ont « profité de la crise sanitaire pour leur évangélisation ». Encore une fois, l'accusation envers les Témoins de Jéhovah n’est pas claire. Ils seraient impliqués dans le fait d'avoir obtenu frauduleusement des listes de personnes hospitalisées et leur auraient écrit au retour de leur hospitalisation. Ce qui s'est probablement produit en réalité, c'est que le plaignant a reçu une lettre générale, que cette lettre mentionnait les problèmes liés à la santé, ce qui n'est pas étonnant en période de pandémie. Il n'existe aucune loi interdisant l'envoi de lettres. Dans le même temps, le plaignant a dû recevoir toutes sortes de publicités dans sa boite. C'est seulement sur la base d'un unique courrier envoyé par un Témoin de Jéhovah dont le contenu est jugé comme dangereux que tout un groupe religieux est ciblé pour ses croyances. Il semble que la France ait du mal à accepter que certaines religions pratiquent « un prosélytisme très actif », alors que la plupart des religions ne le font pas. En outre, le prosélytisme fait partie de la liberté religieuse protégée par les Déclarations universelle et européenne des droits de l’homme.
Troisièmement, après avoir brièvement mentionné les transfusions sanguines, la MIVILUDES soutient que les anciens [pasteurs des Témoins de Jéhovah, ndt) recommandent " aux membres de ne pas aller devant les tribunaux ", mais de régler leurs problèmes au sein de la communauté, ce qui entraine des cas d'abus sexuels qui ne sont pas signalés aux autorités. A l’appui de ces accusations, les rapports australien et belge sont mentionnés. Le professeur Holly Folk a récemment discuté dans Bitter Winter des aspects problématiques des documents australiens et belges. Ici, non seulement l’accusation n’est pas étayée par un quelconque cas français, mais elle est aussi fausse.
J'ai déjà eu l'occasion de parler de cette question. Cependant, pour répondre à la MIVILUDES, il peut être suffisant de souligner que l’édition actuelle (2019) du manuel officiel pour les anciens des assemblées, « Faites paître le troupeau de Dieu » - 1 Pierre 5:2, confirme qu’une personne qui a l’intention de signaler une allégation d’abus (ou tout autre crime) aux autorités laïques ne sera pas découragée de le faire par les Témoins de Jéhovah : « Une personne qui signale une accusation à la police, au tribunal, aux anciens ou à d’autres personnes qui ont le pouvoir d’examiner ces questions et de rendre un jugement ne sera pas considérée par l'assemblée comme coupable de diffamation [...] C’est vrai même si l’accusation n’est pas prouvée » (12, 28). L’édition de 2010 comportait une disposition identique (5, 27). Dans le numéro de mai 2019 de La Tour de Garde [le journal officiel des Témoins de Jéhovah, ndt), on peut lire que « les anciens donnent l’assurance aux victimes, à leurs parents et à d’autres personnes qui sont au courant de l’affaire qu’ils sont libres de signaler une allégation de mauvais traitements aux autorités. Mais que se passe-t-il si le rapport concerne quelqu’un qui fait partie de l'assemblée et que la question devient alors connue dans l'assemblée? Le chrétien qui l’a rapporté devrait-il avoir l’impression d’avoir entaché le nom de Dieu? Non. C'est l’agresseur qui salit le nom de Dieu. » Les anciens vont encore plus loin quand il apparaît qu’un mineur est en danger d’abus, et signalent eux-mêmes la situation aux autorités.
Quatrièmement, la MIVILUDES affirme que « concernant l’éducation des enfants, la doctrine apocalyptique des Témoins de Jéhovah peut induire de fortes tensions psychologiques : l’enfant est encouragé à bien faire à l’école tout en discréditant l’éducation reçue ». Ces affirmations semblent être basées sur des récits stéréotypés dépeignant les Témoins de Jéhovah comme obsédés par la prédiction des dates de la fin du monde. C'est quelque chose qui n’est certainement pas vrai aujourd’hui et n’a pas été vrai depuis des décennies, peu importe comment on préfère interpréter l’histoire de l’organisation à travers le temps. Les Témoins de Jéhovah partagent un intérêt pour les derniers jours et la fin du monde avec la plupart des chrétiens conservateurs. « Apocalyptique » pour un chrétien signifie simplement « lié aux événements décrits dans le Livre de l’Apocalypse », aussi appelé Apocalypse, qui fait partie de la Bible pour l'ensemble des chrétiens. La MIVILUDES n'explique pas vraiment la raison pour laquelle les enfants des Témoins de Jéhovah devraient être dans un état de « tension psychologique » plus fort que celui de millions d’enfants chrétiens qui fréquentent l’école du dimanche dans des églises conservatrices et reçoivent des enseignements similaires sur les derniers jours.
Il y a une contradiction évidente entre « encourager les enfants à bien réussir à l’école » et en même temps « discréditer l’éducation ». Les parents qui sont Témoins de Jéhovah peuvent être en désaccord avec certains enseignements donnés à l’école, tout comme les parents musulmans ou catholiques peuvent être en désaccord avec les enseignements sur certaines valeurs françaises laïques qui contredisent leur théologie morale. Cela n’exclut pas un respect pour l’école et les enseignants, ce qui peut être facilement confirmé par les enseignants qui ont des élèves Témoins de Jéhovah. Pour prouver que l’éducation scolaire n’est pas vraiment acceptée par les Témoins de Jéhovah, la MIVILUDES rapporte que leurs enfants ne participent pas à « certaines activités et célébrations ». Bien que ce ne soit pas mentionné explicitement, la MIVILUDES semble faire allusion au fait que, pour ce qu’ils croient être des raisons bibliques, les Témoins de Jéhovah et leurs enfants ne célèbrent pas Noël et quelques autres fêtes, et les anniversaires. Partout dans le monde, les enseignants respectueux de la liberté religieuse accueillent sans problème les enfants des Témoins de Jéhovah qui ne célébreraient pas un anniversaire ou ne prépareraient pas d’ornements pour Noël. Et ils ne le perçoivent pas comme une tentative de « discréditer » l’école.
Cinquièmement, on n'est pas surpris que la MIVILUDES revienne sur la question de ce qu’elle appelle « le véritable ostracisme mis en œuvre pour ceux qui décident de quitter la communauté des Témoins de Jéhovah. Ces personnes sont alors exclues de la communauté, voire totalement séparées des membres de leur famille qui restent dans la communauté, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques sur les personnes fragiles. » Formulé en termes si généraux, l’énoncé n’est pas exact. Une exception à la pratique de ce qu’on appelle « ostracisme » est faite pour les membres de la famille immédiate. Dans la FAQ publiée en 2020, nous lisons : « Qu’en est-il d’un homme qui est séparé mais dont la femme et les enfants sont toujours Témoins de Jéhovah ? Les liens religieux qu’il entretenait avec sa famille changent, mais les liens de sang demeurent. » Dans le livre de 2008 « Gardez-vous dans l’amour de Dieu », nous lisons (p. 208) : « Étant donné que le fait d’être excommunié ne rompt pas les liens familiaux, les activités et les relations familiales quotidiennes peuvent se poursuivre. Pourtant, l’individu a choisi de briser le lien spirituel entre lui et sa famille croyante. Les membres loyaux de la famille ne peuvent plus avoir de communion spirituelle avec lui. Par exemple, si l'excommunié est présent, il ne participera pas au culte familial. » Mais, comme La Tour de Garde l’a écrit le 15 avril 1991 (p. 22), « Si, dans le ménage d’un chrétien, il y a un parent excommunié, celui-ci prendra toujours part aux activités quotidiennes normales du foyer ». Le 1er août 1974, La Tour de Garde (p. 470) avait déjà précisé que cela s’appliquait également à la relation entre époux et épouses comme étant « une seule chair », qui, sauf en cas de divorce, se poursuit même après que l’un des époux a quitté les Témoins de Jéhovah.
C'est toujours le même problème : La MIVILUDES s’appuie sur les saisines. Dans une saisine, un homme écrit qu’après avoir quitté les Témoins de Jéhovah pour des raisons doctrinales, « ma femme a finalement demandé le divorce sur la base d'un faux témoignage parce qu’elle n’avait aucune raison de divorcer selon la Bible. Je savais qu’elle avait posé un ultimatum à nos filles pour choisir entre elle et moi (…) Alors oui, les Témoins de Jéhovah détruisent les familles et l’État français devrait intervenir. » Nous n’avons aucun moyen de savoir ce qui s’est vraiment passé et, sur la base de leur méthodologie habituelle, nous pouvons douter que la MIVILUDES ait interviewé la femme pour obtenir sa version de l’histoire. Malheureusement, ces récits sont extrêmement fréquents dans les divorces difficiles, même lorsque des raisons religieuses ne sont pas invoquées.
Quant à l’argument selon lequel « l’État français doit intervenir », je pense qu’une pluralité de voix faisant autorité et qui ont écrit dans Bitter Winter ont expliqué pourquoi les tribunaux de nombreux pays dans le monde ont rendu les seules décisions qui sont compatibles avec la liberté des organisations religieuses. Ces juridictions ont défendu le droit des Témoins de Jéhovah d'enseigner que leurs membres ne devraient pas s’associer avec ceux qui ont quitté l'assemblée ou ont été excommuniés (à l’exception de leurs proches parents).
En résumé, le rapport de la MIVILUDES, dans sa partie sur les Témoins de Jéhovah, ne donne voix qu’aux opposants qui ont soumis des saisines. La méthode ne peut aboutir qu'à une évaluation unilatérale et inéquitable des Témoins de Jéhovah. Et c'est exactement ce qui s'est passé.