Questions / Réponses : Travaux universitaires sur les Témoins de
Jéhovah
Sébastien D., le 18 avril 2012
J’ai parcouru avec intérêt votre site qui synthétise vos travaux sur les Témoins de Jéhovah. La perspective visant à les rattacher à une tradition chrétienne est
originale.
Lorsque j’ai fait une recherche sur les analyses existant sur les Témoins de Jéhovah, j’ai trouvé plusieurs ouvrages de qualités inégales, me semble-t-il. J’ai récemment commandé l’ouvrage écrit
par Monsieur (...), publié (...) aux Editions L’Harmattan, tout comme l’un de vos ouvrages.
Peut-être l’avez-vous lu, et c’est pourquoi je souhaitais avoir votre avis éclairé sur celui-ci. Manifestement, il adopte une posture critique sur l’organisation jéhovéenne qu’il revendique. Je
pense que la confrontation de vos différentes approches peut être heuristique.
Qu’en pensez-vous ?
Bien cordialement,
Sébastien D.
Réponse à Sébastien D.
Je vous remercie de consulter mes travaux sur les Témoins de Jéhovah. Ma perspective de recherche universitaire qui les rattache à une tradition chrétienne peut être considérée comme originale dans la mesure où effectivement elle a été peu abordée sous cet angle. Néanmoins, force est de constater que les Témoins de Jéhovah sont chrétiens, que cela agace ou pas. Mes travaux l’ont amplement démontré. D’ailleurs, l'ambiguïté à ce sujet ne vient pas des chercheurs en sciences des religions mais bien des Eglises chrétiennes institutionnalisées.
En effet, et je ne reviendrai pas ici sur cette question, c’est la croyance en la Trinité qui est considérée très arbitrairement et avec beaucoup de dogmatisme comme la pierre de touche quant à savoir si un mouvement peut être accepté comme chrétien ou pas par ces grandes Eglises. Or, la Trinité est un enseignement tardif et abâtardi de l’Eglise catholique qui a voulu l’imposer par la force et la torture à tous les chrétiens. Jésus était juif, strictement monothéiste et il a prêché une autre façon d’être juif. Les Juifs de son temps adoraient leur seul Dieu, YHWH (traduit par Jéhovah en français classique), au temple de Jérusalem. Jésus-Christ lui-même adorait Jéhovah Dieu, son Dieu, dans ce temple.
Les Témoins de Jéhovah s’inscrivent dans cette tradition judéo-chrétienne, dans le cadre d’un protestantisme restitutionniste qui prétend, d’une manière peut-être utopiste, débarrasser le christianisme de toutes ses scories théologiques, pour reprendre les termes de Jean Baubérot. Les Témoins de Jéhovah ont l’ambition de pratiquer le christianisme évangélique le plus pur possible.
Le fait de consulter mes travaux montre votre intérêt pour les sources autorisées et sérieuses à leur sujet. En effet, comme vous l’avez constaté vous aussi, beaucoup de bêtises, de contre-vérités, de mensonges même, ont été répandus sur ce mouvement chrétien historique de rang mondial. Ces dernières années, la pléthore de sites internet a provoqué un tintamarre assourdissant à leur sujet. Et beaucoup aujourd’hui cherchent à avoir une idée claire et équilibrée à leur propos.
Qui alimente le buzz (pour me permettre ce néologisme anglais) sur ce thème ? Les activistes antisectes, la miviludes, certains ex-Témoins de Jéhovah, quelques journalistes. Chacun avec ses propres motivations. Les antisectes sont pour la plupart soit des laïcistes qui considèrent la laïcité comme une quasi religion qui doit s’imposer aux citoyens éclairés (pour eux les croyants sont des obscurantistes), soit des croyants sectaires, pour la plupart issus d’un catholicisme intégriste, qui n’admettent pas la concurrence du religieux (pour eux, le catholicisme devrait redevenir religion d’Etat).
La miviludes (mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires), énième avatar politique de la lutte laïciste institutionnalisée contre le religieux, a fait long feu. Les embrouillaminis contenus dans ses rapports fourre-tout, ses raccourcis saisissants, ses amalgames grossiers, les démêlés judiciaires et les condamnations de certains de ses membres, l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a condamné définitivement la France pour entrave à la liberté religieuse envers les Témoins de Jéhovah, l’ont complètement discréditée. On note d’ailleurs avec intérêt que le secrétaire de la miviludes, désormais prudent, n’utilise plus le mot secte pour les désigner mais le mot communauté. Mais dans le même temps, le président actuel de la miviludes, un jusqu’au-boutiste notoire, ne veut pas perdre la face et continue son combat d’arrière-garde, qu’il sait pertinemment perdu, contre les Témoins de Jéhovah.
Les intégristes catholiques ont initié dans les années 80 le combat contre le groupe jéhovéen parce qu’ils voyaient mal leur prédication domiciliaire qui dénonçait et dénonce encore la Trinité comme un enseignement de démons, pour reprendre les mots héroïques de Michel Servet. Les désigner comme une secte dangereuse était un message porteur dans l’opinion publique dans ces années-là. Ces catholiques intransigeants ont créé des associations de défense pour protéger selon eux les familles contre ce qu’ils estimaient être un grave danger. Ils se sont abouchés progressivement avec quelques ex-Témoins de Jéhovah qui avaient des comptes à régler avec leurs anciens coreligionnaires.
Ces ex-Témoins de Jéhovah sont très peu à s’être engagés dans la lutte contre un mouvement qu’ils avaient auparavant embrassé librement et qu’ils avaient défendu. Très peu en effet en regard avec le nombre de fidèles de cette confession en France. Leurs noms sont connus, ils sont peut-être une petite dizaine, guère plus. Ils utilisent les infrastructures des associations d’inspiration catholique, se sont fait entendre par la miviludes, ont utilisé certains médias comme caisse de résonance étant donné leur si petit nombre. Cependant, bien que quasiment inexistant numériquement, leurs propos à l’emporte-pièce ont été repris à tout-va par des journalistes complaisants en recherche de sensationnel.
Ces journalistes ont mis en avant le refus des transfusions sanguines par les Témoins de Jéhovah. Les enfants des Témoins de Jéhovah étaient en danger. Il fallait créer la panique générale. En fait, il s’agissait déjà à l’époque d’une question résiduelle qui ne se pose quasiment jamais parce que, d’une part les Témoins de Jéhovah se sont organisés pour faire face à ce genre d’éventualité et que d’autre part, les droits du patient sont clairement reconnus par la loi. Ces journalistes ont fini par se lasser et d’ailleurs l’audience n’était déjà plus au rendez-vous.
Bien sûr, chacun des activistes anti-Témoins de Jéhovah était un « expert » de la question. Les catholiques étroits, sûrs d’être les détenteurs de la vérité chrétienne savaient que les Témoins de Jéhovah sont des hérétiques antitrinitaires. Les bûchers médiatiques étaient un bon moyen de les brûler en place de Grève. Les ex-Témoins de Jéhovah arguaient qu’ayant fréquenté le mouvement pendant plus ou moins longtemps, ils étaient les mieux placés pour en parler. Comme si un conjoint divorcé était le mieux placé pour parler de son ex-femme. Les politiques de la miviludes se sont posés en personne « bien informées » et en tant que représentants du peuple pour certains d’entre eux, comme porte-parole des masses. Comme si être un élu faisait de vous par définition un expert en tout.
Alors, qui peut apporter un éclairage acceptable sur cette communauté chrétienne ? Après réflexion, les chercheurs sont les mieux placés. Pourquoi ? Pour une raison que Jean Baubérot a clairement énoncée. On ne peut mettre si facilement de côté la question de la compétence. Quelqu’un passerait-il sur un pont fabriqué par des gens qui n’auraient aucun métier, à partir de plans établis par des amateurs ? Habiterait-il au 7ème étage d’un immeuble construit par des gens sans compétence ?
Celui qui s’adonne à la recherche sur ce sujet d’étude que sont les Témoins de Jéhovah doit précisément avoir une compétence en matière de laïcité et de questions religieuses, pratiquer ce que l’on appelle la démarche de connaissance et laisser ses pairs juger si elle est respectée ou non. Or, ce que l’on constate c’est que, de plus en plus, il y a des personnes qui, profitant de leur position politique, sociale et/ou médiatique, ne se privent pas de traiter doctement, avec une complète bonne conscience, de tous les sujets possibles et imaginables dès lors qu’il s’agit de sujets dits « de société », comme s’il n’existait que l’opinion et pas la connaissance.
Les prétendus experts sévissant sur des sites de leurs crus ou sur de pseudo encyclopédies participatives, vexés que leurs « compétences » ne soient pas reconnues, se livrent à des attaques en règle sur les ouvrages produits par des universitaires sous prétexte qu’elles ne corroborent pas leurs propres conclusions partisanes. Et ils attaquent ad personam ceux qui travaillent dur dans un cadre extrêmement contraint. Tout choix de thèse comporte des motivations extra-scientifiques et le travail du directeur de thèse consiste à faire progresser le doctorant dans l’objectivation, la connaissance objective. Et cette connaissance objective est jugée au final par des jurys universitaires très affûtés.
Les idéologues de tous poils vont prétendre que l’objectivité n’étant pas absolue, elle n’existe pas. Stupidité affligeante : la richesse absolue n’existant pas non plus, autant dire qu’il n’existe aucune différence entre un PDG gagnant 300 fois le smic et un SDF !, réplique Jean Baubérot. Que les « experts » qui pondent des conclusions pontifiantes en tentant de singer jusque dans la forme les chercheurs qualifiés et dont les travaux ont été pesés à l’aune de la recherche, revendiquent donc leur « position critique ». Cette seule affirmation les disqualifie.
Je lis volontiers les écrits de mes collègues docteurs. Je réponds aux questions d’étudiants qui m’interrogent sur le sujet que j’ai étudié pendant de si longues années de recherches appliquées. Le seul psychosociologue que je connaisse et qui s’est exprimé depuis de longues années lui aussi et avant moi sur le thème de recherche que constituent les Témoins de Jéhovah, c’est Régis Dericquebourg, qui enseigne à Lille 3 et qui a justement fait sa thèse de doctorat sur les Témoins de Jéhovah dans les années 70. C’est avec lui que j’ai travaillé. Et avec les professeurs experts de la Cinquième section de sciences des religions de l’Ecole pratique des hautes études à la Sorbonne et avec Michel Maffesoli, sociologue, professeur à Paris 5 Descartes-Sorbonne.
Les Editions L’Harmattan reste une référence en matière de publications d’universitaires. Cependant, vous aurez certainement noté, cher Sébastien, que si ma thèse de diplôme de l’EPHE a été publiée chez l’Harmattan, ma thèse de doctorat l’a été aux Ateliers nationaux de reproduction des thèses, un organisme d’Etat.
Il ne peut y avoir d’heuristique qu’entre des personnes qui acceptent d’entrer dans le parcours difficile et exigeant de la recherche pour devenir eux-mêmes chercheurs. Autant j’ai de respect pour ceux qui se soumettent à ce dur parcours même si leurs conclusions diffèrent des miennes, autant je trouve ridicules ceux qui voudraient se parer de titres qu’en fait ils usurpent. Le livre auquel vous faites allusion ne sera certainement pas le dernier à être écrit par des dissidents Témoins de Jéhovah. En tant que chercheur, je trouve cette littérature plutôt pauvre, fade et ennuyeuse. Elle ne peut pas entrer dans une bibliographie universitaire. A l’inverse, n’hésitez pas à consulter la bibliographie que je publie pour trouver des livres intéressants et bien construits sur le sujet des Témoins de Jéhovah et qui rendent compte de l’avancée de la recherche sur ce thème.
Cher Sébastien, je vous souhaite une bonne continuation.
Bien à vous, Philippe B.
Référence universitaire pour citer cet article :
- Barbey Ph., La question de la recherche sur les Témoins de Jéhovah, Focus sociologique, consulté le [date].